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Monarchie de Juillet (1830-1848) |
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Monarchie de Juillet (1830-1848)from the Wikipedia | Read original article |
Royaume de France
Monarchie de Juillet
1830 – 1848
17 ans, 6 mois et 15 jours
La France en 1848.
Statut | Monarchie constitutionnelle |
---|---|
Capitale | Paris |
Langue | Français |
Monnaie | Franc français |
9 août 1830 | Proclamation de la monarchie de Juillet, fondée sur la Charte de 1830. Louis-Philippe Ier n’est pas sacré roi de France mais intronisé roi des Français |
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22-25 février 1848 | Révolution |
24 février 1848 | Abdication de Louis-Philippe Ier. Proclamation de la IIe République |
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Proclamée le 9 août 1830 après les émeutes dites des « Trois Glorieuses », la monarchie de Juillet (1830-1848) succède en France à la Restauration. La branche cadette des Bourbons, la maison d’Orléans, accède alors au pouvoir. Louis-Philippe Ier n’est pas sacré roi de France mais intronisé roi des Français. Son règne, commencé avec les barricades de la révolution de 1830, s’achève en 1848 par d’autres barricades, qui le chassent pour instaurer la Seconde République. La monarchie de Juillet, qui a été celle d’un seul homme, marque en France la fin de la royauté.
L’idéal du nouveau régime est défini par Louis-Philippe répondant fin janvier 1831 à l’adresse que lui envoie la ville de Gaillac : « Nous chercherons à nous tenir dans un juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal[1]. »
Le 7 août 1830, la Charte de 1814 est révisée. Le préambule rappelant l'Ancien Régime est supprimé. La charte devient un pacte entre la nation et le roi, et cesse d'être une concession de ce dernier. Elle s'inscrit comme un compromis entre les constitutionnels et les républicains. La religion catholique n'est plus religion d'État, la censure de la presse est abolie, le drapeau tricolore rétabli.
Le 9 août 1830, Louis-Philippe prête serment à la Charte et est intronisé. C'est le commencement officiel de la monarchie de Juillet. Le 11 août, un gouvernement est formé, rassemblant des ténors de l'opposition constitutionnelle à Charles X, dont Casimir Perier, Laffitte, Molé, le duc de Broglie, Guizot… Le ministère doit répondre à un double objectif : prendre fermement en main la machine administrative et rétablir l'ordre dans la rue, tout en feignant l'enthousiasme pour la cause de la révolution qui vient de triompher.
Pendant trois mois, l'agitation, entretenue par la presse républicaine et libérale, est permanente. Le gouvernement ne dispose pas des moyens de sévir, d'autant que la garde nationale a à sa tête, à partir du 16 août, le marquis de La Fayette, chef de file des républicains. Louis-Philippe doit donc souffrir les familiarités des « héros de Juillet » qui réclament, selon la formule de La Fayette, « un trône populaire entouré d'institutions républicaines ».
Sous les ricanements des légitimistes[2], le « roi-citoyen » distribue force poignées de main à la foule ; devant le Palais-Royal, ce sont en permanence des attroupements qui réclament à tout bout de champ Louis-Philippe pour lui faire chanter La Marseillaise ou La Parisienne. Mais, comme l'a bien compris le chansonnier Béranger[3], le roi joue un rôle de composition et ne tardera pas à jeter le masque.
Les révolutionnaires se retrouvent au sein de clubs populaires, se réclamant des clubs de la révolution de 1789, dont plusieurs prolongent des sociétés secrètes républicaines[4]. On y réclame des réformes politiques ou sociales, et l'on y demande la condamnation à mort des quatre ministres de Charles X qui ont été arrêtés alors qu'ils cherchaient à quitter la France (V. l'article Procès des ministres de Charles X). Les grèves, les manifestations se multiplient et aggravent le marasme économique.
Pour relancer l'activité, le gouvernement fait voter, à l'automne 1830, un crédit de 5 millions pour financer des travaux publics, prioritairement des routes[5]. Puis, face à la multiplication des faillites et à la montée du chômage, surtout à Paris, le gouvernement propose d'accorder une garantie de l'État aux prêts aux entreprises en difficulté dans une enveloppe de 60 millions ; en définitive, la Chambre vote au début octobre un crédit de 30 millions destiné à des subventions[6].
Le 27 août, la monarchie de Juillet doit affronter son premier scandale avec la mort du dernier prince de Condé, retrouvé pendu à l'espagnolette de la fenêtre de sa chambre au château de Saint-Leu. Louis-Philippe et la reine Marie-Amélie sont accusés sans preuve par les légitimistes de l'avoir fait assassiner pour permettre à leur fils, le duc d'Aumale, institué son légataire universel, de mettre la main sur son immense fortune[7].
Dans le même temps, le gouvernement épure l'administration de tous les sympathisants légitimistes qui refusent de prêter serment au nouveau régime et à son souverain et les remplace par un personnel nouveau issu de la révolution de Juillet, donnant le signal d'une vaste « course aux places »[8]. Au ministère de l'Intérieur, Guizot renouvelle toute l'administration préfectorale et les maires des grandes villes. Au ministère de la Justice, Dupont de l'Eure, assisté par son secrétaire général, Mérilhou, change la plupart des procureurs généraux. Dans l'armée, Bourmont, resté fidèle à Charles X, est remplacé à Alger par Clauzel. On remplace les généraux commandant les régions militaires, les ambassadeurs, les ministres plénipotentiaires, la moitié des membres du Conseil d'État. À la Chambre des députés, un quart environ des sièges (119) sont soumis à réélection en octobre, après démission, refus de serment ou nomination à une fonction publique entraînant, pour l'intéressé, l'obligation de se représenter devant les électeurs. Ces élections partielles sont un succès pour le nouveau régime et une déroute pour les légitimistes.
L'élément le plus notable dans ce renouvellement du personnel politique et administratif est le retour aux affaires de la partie du personnel du Premier Empire qui en avait été écartée sous la Seconde Restauration. Sociologiquement, en dépit de l'élargissement modéré du pouvoir de suffrage, les élites ne sont guère renouvelées : « Après la révolution, souligne l'historien américain David H. Pinkney, les propriétaires terriens, la classe des fonctionnaires et les gens des professions libérales continuèrent à prédominer dans les postes clefs de l'État comme ils l'avaient fait sous l'Empire et sous la Restauration. En cela, on peut considérer que la révolution n'avait pas inauguré un quelconque régime nouveau de « grande bourgeoisie ». »[9] « La grande différence entre la Restauration et la monarchie de Juillet, avance Guy Antonetti, n'a pas tant résidé dans la substitution d'un groupe social à un autre que dans la substitution, à l'intérieur du même groupe social, des tenants d'une mentalité favorable à l'esprit de 89 aux tenants d'une mentalité qui lui était hostile : socialement semblables, idéologiquement différents. 1830 n'a été qu'un changement d'équipe dans le même camp et non un changement de camp. »[10]
Les archives de la Maison du Roi et de l'intendance générale de la Liste civile sous la monarchie de Juillet, qui matérialisent directement le renouvellement du personnel au service de Louis-Philippe, roi des Français, sont conservées aux Archives nationales dans la sous-série O/4[11].
Le 29 août, Louis-Philippe passe en revue la garde nationale de Paris qui l'acclame. « Cela vaut mieux pour moi que le sacre de Reims ! », s'écrie-t-il en embrassant La Fayette. Le 11 octobre, le nouveau régime décide que des récompenses seront accordées à tous les blessés des « Trois Glorieuses » et crée une médaille commémorative pour les combattants de la révolution de Juillet. En octobre, le gouvernement présente un projet de loi destiné à indemniser à concurrence de 7 millions les victimes des journées de Juillet[12].
Le 13 août, le roi a décidé que les armes de la maison d'Orléans (de France au lambel d'argent) orneront désormais le sceau de l'État. Les ministres perdent les appellations de Monseigneur et le prédicat d’Excellence pour devenir Monsieur le ministre. Le fils aîné du roi est titré duc d'Orléans et prince royal ; les filles et la sœur du roi sont princesses d'Orléans[13].
Sont adoptées et promulguées des lois revenant sur des mesures impopulaires prises sous la Restauration. La loi d'amnistie de 1816, qui avait condamné à la proscription les anciens régicides, est abrogée, à l'exception de son article 4, qui condamne au bannissement les membres de la famille Bonaparte. L'église Sainte-Geneviève est de nouveau retirée au culte catholique le 15 août et retrouve, sous le nom de Panthéon, sa vocation de temple laïc dédié aux gloires de la France. Une série de restrictions budgétaires frappent l’Église catholique[14], cependant qu'est abrogée, le 11 octobre, la « loi du sacrilège » de 1825, qui punissait de mort les profanateurs d'hosties consacrées[15].
Dans l'opinion[16] et à la Chambre des députés, des voix s'élèvent pour demander la fermeture des clubs républicains, foyers d'agitation qui contreviennent à l'article 291 du code pénal, interdisant toute réunion de plus de 20 personnes. Mais le garde des sceaux, Dupont de l'Eure, et le procureur général de Paris, Bernard, tous deux républicains, refusent de poursuivre les associations révolutionnaires.
Le 25 septembre, répondant à une interpellation à la Chambre sur ce sujet, le ministre de l'Intérieur, Guizot, exprime en revanche la volonté de mettre un terme à l'agitation[17]. Le discours, appuyé par celui de Casimir Perier, est bien accueilli à la Chambre, mais celle-ci ne parvient pas à conclure. C'est l'apparition d'un clivage entre deux tendances politiques antagonistes, qui vont structurer la vie politique sous la monarchie de Juillet :
Le procès des quatre ex-ministres de Charles X arrêtés en août 1830 alors qu'ils tentaient de fuir à l'étranger – Polignac, Chantelauze, Peyronnet et Guernon-Ranville – est la grande affaire politique de l'heure. La gauche exige la tête des ministres, mais Louis-Philippe, veut éviter une exécution dont il craint qu'elle ne donne le signal d'une vague de Terreur révolutionnaire qui, emportant la monarchie de Juillet dans une spirale de violence, la conduirait à la guerre avec les puissances européennes. Aussi la Chambre des députés, tout en votant le 27 septembre une résolution de mise en accusation des anciens ministres, adopte le 8 octobre une adresse invitant le roi à présenter un projet abolissant la peine de mort, au moins en matière politique. Cet épisode déclenche une émeute les 17 et 18 octobre : les manifestants marchent sur le fort de Vincennes, où sont détenus les ministres.
Après ces émeutes, Guizot demande la révocation du préfet de la Seine, Odilon Barrot, qui, dans une proclamation aux Parisiens, a qualifié d’« inopportune démarche » l'adresse demandant l'abolition de la peine de mort. Guizot, appuyé par le duc de Broglie, estime qu'un haut fonctionnaire ne saurait critiquer un acte de la Chambre des députés, surtout que celui-ci a été approuvé par le roi et par son gouvernement. Dupont de l'Eure prend le parti de Barrot et menace de démissionner s'il est désavoué. Jacques Laffitte, principale figure du mouvement, s'offre alors pour coordonner les ministres avec le titre de « président du Conseil ». Aussitôt, Broglie et Guizot, refusant de passer sous la coupe de Laffitte, démissionnent, suivis par Perier, Dupin, Molé et Louis.
Pour lever l'hypothèque de gauche, Louis-Philippe va alors prendre Laffitte au mot et l'appelle à former un nouveau gouvernement le 2 novembre 1830, en espérant que l'exercice du pouvoir le discréditera.
« Si le chef doit être M. Laffitte, confie Louis-Philippe au duc de Broglie, j'y consens pourvu qu'il soit lui-même chargé de choisir ses collègues, et je préviens d'avance que, ne partageant pas son opinion, je ne saurais lui promettre de lui prêter secours. »[18] On ne saurait être plus clair ; pourtant, la formation du cabinet donne lieu à de longues tractations et Laffitte, trompé par les marques d'amitié que lui prodigue le roi, croit que ce dernier lui accorde une véritable confiance.
Le procès des ex-ministres de Charles X se déroule du 15 au 21 décembre devant la Chambre des pairs, cernée par l'émeute qui réclame leur mort. Condamnés à la détention perpétuelle, assortie de la mort civile pour Polignac, les ministres échappent au lynchage grâce à la présence d'esprit du ministre de l'Intérieur, Montalivet, qui parvient à les mettre en sécurité au fort de Vincennes. La garde nationale maintient le calme dans Paris, affirmant son rôle essentiel de milice bourgeoise du nouveau régime.
En manifestant l'importance de la garde nationale, seule force sur laquelle le gouvernement puisse alors compter pour assurer l'ordre public, cet épisode démontre également le risque qu'il y a à la laisser aux mains du peu fiable La Fayette. Celui-ci est rapidement poussé à la démission à la faveur d'une réorganisation, ce qui entraîne le départ du gouvernement du garde des sceaux, Dupont de l'Eure. D'autre part, pour éviter de dépendre d'une seule force, Louis-Philippe charge le maréchal Soult, nommé ministre de la Guerre depuis le 17 novembre, de réorganiser sans tarder l'armée de ligne. Celui-ci présente à la Chambre, dès le mois de février 1831, son plan visant à accroître les effectifs de l'armée, à résorber le surencadrement et à assurer l'approvisionnement en armes et en munitions, et fait adopter la loi du 9 mars 1831 créant la Légion étrangère, première d'un important train de réformes militaires[19].
Dans le même temps, le gouvernement met en œuvre un certain nombre de réformes correspondant à des revendications du parti du mouvement qui avaient été inscrites à l'article 69 de la Charte révisée : la loi du 21 mars 1831 sur les conseils municipaux rétablit le principe de l'élection et élargit sensiblement la base électorale, avec 2 à 3 millions d'électeurs sur 32,6 millions d'habitants, soit dix fois plus que pour les élections législatives (V. Grandes lois sous la monarchie de Juillet) ; la loi du 22 mars 1831 organise la garde nationale ; la loi du 19 avril 1831, votée après deux mois de débats au parlement[20], abaisse le cens d'électorat de 300 à 200 francs de contributions directes et le cens d'éligibilité de 1 000 à 500 francs. Le nombre d'électeurs passe de moins de 100 000 à 166 000. Un Français sur 170 participe à la vie politique par le biais des élections.
Les émeutes qui ont lieu à Paris les 14 et 15 février 1831 vont provoquer la chute du ministère. Elles trouvent leur origine dans la célébration, le 14, d'un service funèbre organisé à Saint-Germain-l'Auxerrois par les légitimistes en mémoire du duc de Berry. La cérémonie religieuse prend en réalité un tour nettement plus politique, celui d'une manifestation en faveur du comte de Chambord. Les révolutionnaires y voient une provocation intolérable, envahissent l'église et la mettent à sac. Le lendemain, la foule saccage une nouvelle fois l'archevêché, déjà dévasté lors des « Trois Glorieuses », avant de piller plusieurs églises. Le mouvement s'étend à la province où des séminaires et des palais épiscopaux sont pillés dans plusieurs villes.
Le gouvernement s'abstient de réagir énergiquement. Le préfet de la Seine, Odilon Barrot, le préfet de police, Jean-Jacques Baude, le commandant de la Garde nationale de Paris, le général Mouton, restent passifs[21]. Et quand le gouvernement prend enfin des mesures, c'est pour faire arrêter l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois, et d'autres prêtres accusés, avec quelques notables royalistes, de s'être livrés à des provocations[réf. nécessaire].
Pour calmer les esprits, Laffitte, appuyé par le prince royal, propose au roi une étrange parade : supprimer les fleurs de lys sur le sceau de l'État. Louis-Philippe tente de se dérober, mais il finit par signer l'ordonnance du 16 février 1831 qui substitue aux armes de la maison d'Orléans un écu portant un livre ouvert avec les mots Charte de 1830. Il faut ensuite faire gratter les fleurs de lys sur les carrosses du roi, sur les bâtiments officiels, etc. Louis-Philippe s'est fait violence, mais pour Laffitte, c'est une victoire à la Pyrrhus : de ce jour, le roi est résolu à se débarrasser de lui sans plus attendre.
La montée de l'agitation condamne au demeurant d'elle-même la politique de laissez-faire du parti du mouvement. À la Chambre, le 19 février, Guizot s'indigne[22] et, vivement approuvé par tous les députés du centre, met Laffitte au défi de dissoudre la Chambre et de se présenter devant les électeurs. Le président du Conseil relève le gant, mais le roi, à qui appartient seul la prérogative de dissolution, préfère temporiser encore quelques jours. En attendant, à la demande de Montalivet, Barrot est remplacé par Taillepied de Bondy à la préfecture de la Seine, tandis que Vivien de Goubert succède à Baude à la préfecture de police. Le désordre est permanent dans les rues de Paris. Tout est prétexte à incidents et manifestations. Qui plus est, la situation économique est morose[23].
Enfin décidé à pousser Laffitte à la démission, Louis-Philippe use d'un stratagème. Il se fait remettre par le ministre des Affaires étrangères, Sébastiani, une note du maréchal Maison, ambassadeur de France à Vienne, arrivée à Paris le 4 mars, qui annonce l'imminence d'une intervention militaire autrichienne en Italie). Laffitte apprend l'existence de cette note dans Le Moniteur du 8 mars. Il demande aussitôt des explications à Sébastiani qui doit lui avouer qu'il a agi sur ordre du roi. Laffitte se précipite auprès de Louis-Philippe, qui le reçoit aimablement. Cherchant à amener le roi à se découvrir, Laffitte lui rappelle le programme belliqueux qu'il a développé à la Chambre. Louis-Philippe l'invite à soumettre la question au Conseil des ministres qui, réuni le lendemain, désavoue unanimement Laffitte[24]. Celui-ci n'a plus qu'à démissionner.
Après avoir ainsi levé l'hypothèque du mouvement, le roi va appeler au pouvoir la résistance. Pour Louis-Philippe, qui est fondamentalement centriste, cette nouvelle option politique n'est guère plus confortable que la précédente, d'autant qu'il n'éprouve aucune sympathie pour le charismatique chef du mouvement, le banquier Casimir Perier : d'emblée, elle n'est pour lui qu'une autre hypothèque à lever, en essayant d'en profiter pour rétablir l'ordre dans le pays en laissant assumer aux tenants de la résistance l'impopularité afférente.
Le 13 mars 1831, Laffitte est donc remplacé par la principale figure du parti de l'ordre, Casimir Perier. La formation du nouveau ministère a donné lieu à de délicates tractations avec Louis-Philippe, peu soucieux d'affaiblir son pouvoir et qui se méfie de Perier. Mais Perier a fini par imposer ses conditions, qui tournent autour de la prééminence du président du Conseil sur les autres ministres et la possibilité pour lui de réunir, en l'absence du roi, des conseils de cabinet[25]. Perier a en outre exigé que le prince royal, qui professe des idées libérales avancées, cesse de participer au Conseil des ministres. Pour autant, Perier ne veut pas l'abaissement de la couronne, dont il souhaite au contraire rehausser le prestige, contraignant par exemple Louis-Philippe à quitter sa demeure familiale, le Palais-Royal, pour s'installer dans le palais des rois, les Tuileries (21 septembre 1831).
Le 18 mars 1831, Perier prend la parole devant la Chambre des députés pour présenter une sorte de déclaration de politique générale : « Il importe, dit-il, que le cabinet nouvellement constitué vous fasse connaître les principes qui ont présidé à sa formation, et qui dirigent sa conduite. Il faut que vous votiez en connaissance de cause, et que vous sachiez à quel système de politique vous prêtez appui. »[26] Les principes qui ont présidé à la formation du gouvernement sont ceux de la solidarité ministérielle et de l'autorité du gouvernement sur l'administration. Les principes que le gouvernement entend mettre en œuvre sont, sur le plan intérieur, « les principes mêmes de notre révolution » : « le principe de la révolution de Juillet […] ce n'est pas l'insurrection, […] c'est la résistance[27] à l'agression du pouvoir »[26], et, sur le plan extérieur, « une attitude pacifique et le respect du principe de non-intervention »[26]. L'orateur résume en définitive sa politique dans une formule appelée à rester célèbre :
« Au-dedans, nous voulons l'ordre, sans sacrifice pour la liberté ; au-dehors, nous voulons la paix, sans qu'il en coûte rien à l'honneur[26]. »
Le discours est très applaudi au centre. La Chambre des députés adopte, en l'absence de budget régulièrement voté, quatre douzièmes provisoires, et ce scrutin, considéré par Perier comme un vote de confiance, est acquis le 8 avril par 227 boules blanches contre seulement 32 boules noires.
Conforté par la confiance que lui a marquée la Chambre, le gouvernement entreprend de faire montre de fermeté et de sévir contre les fauteurs de troubles. La première occasion ne tarde pas à se présenter.
Le 14 mars 1831, les journaux d'opposition ont lancé une campagne de souscription en faveur d'une association nationale censée combattre le retour des Bourbons et les risques d'invasion étrangère[28], que patronnent toutes les notabilités de gauche comme La Fayette, Dupont de l'Eure, Lamarque, Barrot et qui ne tarde pas à créer en province un réseau de comités locaux. Perier envoie une circulaire aux préfets interdisant l'affiliation des agents de l'État – fonctionnaires, militaires, magistrats – à une association qui, en prétendant défendre la révolution et le territoire national, s'érige en rivale de l'État et l'accuse implicitement de ne pas remplir ses devoirs. Au début du mois d'avril, le gouvernement procède à quelques destitutions spectaculaires de personnalités en vue : Odilon Barrot est révoqué du Conseil d'État, le commandement militaire du général Lamarque est supprimé, le maire de Metz, Jean-Baptiste Bouchotte, est destitué, tout comme le marquis de Laborde, aide de camp du roi. L'opposition persifle : au lieu d'« un trône populaire entouré d'institutions républicaines »[29], on parle désormais d'« un trône doctrinaire entouré de destitutions républicaines »[30].
Le 15 avril, l'acquittement par la cour d'assises de quelques jeunes républicains[31], pour la plupart officiers d'artillerie de la garde nationale, arrêtés en décembre 1830 à l'occasion des troubles qui ont marqué le procès des ministres de Charles X, donne le signal de nouvelles émeutes les 15 et 16 avril. Mais Perier réagit fermement et, s'appuyant sur une loi renforçant les mesures contre les attroupements qu'il vient de faire voter le 10 avril, engage la garnison de Paris aux côtés de la garde nationale pour disperser les manifestants.
En mai, le gouvernement emploie une pompe à incendie contre les manifestants, ancêtre des modernes canons à eau. L'utilisation de cette nouvelle arme de répression fait les délices des caricaturistes : aux côtés du parapluie, la seringue à clystère devient l'un des attributs de Louis-Philippe dans les dessins satiriques du temps.
Le 14 juin, à la suite d'une altercation entre un bijoutier de la rue Saint-Denis et un colporteur de chansons napoléoniennes, une nouvelle émeute éclate et dégénère, dans la nuit, en bataille rangée contre la garde nationale, renforcée de dragons et de fantassins. Les combats se poursuivent durant toutes les journées des 15 et 16.
Surtout, le gouvernement doit faire face à la révolte des ouvriers tisserands de Lyon, les canuts, qui se soulèvent le 21 novembre 1831, ralliant à leur cause une partie de la garde nationale. En deux jours, les ouvriers se rendent maîtres de la ville, qu'évacuent le général Roguet, commandant la division, et le maire, Prunelle.
Dès le 25 novembre, Casimir Perier annonce à la Chambre des députés une réaction énergique : le maréchal Soult, accompagné du duc d'Orléans, partent aussitôt reconquérir Lyon à la tête d'une armée de 20 000 hommes, qui pénètre sans coup férir dans la capitale des Gaules le 3 décembre, et rétablit l'ordre sans effusion de sang.
Le 11 mars 1832, éclate la sédition de Grenoble : à l'occasion du Carnaval, un masque représente Louis-Philippe d'une manière particulièrement grossière. Le préfet annule le bal où, dans la soirée, le masque devait paraître. La population, mécontente, manifeste devant la préfecture. Le préfet demande à la garde nationale de disperser les manifestants, mais la garde nationale s'abstient de se présenter de sorte que le haut fonctionnaire requiert l'armée. Le 35e régiment de ligne s'acquitte de la mission impartie mais la population, furieuse, exige qu'il soit chassé de la ville. Pour ramener le calme, les autorités capitulent et, le 15 mars, le 35e de ligne sort de Grenoble où il est remplacé par le 6e de ligne, venu de Lyon pour le relever. Lorsqu'il apprend la nouvelle, Casimir Perier réagit vigoureusement : il dissout la garde nationale de Grenoble et rappelle immédiatement le 35e de ligne qui rentre dans la ville au pas de marche et musique en tête.
Pourtant, la fermeté du gouvernement semble impuissante à enrayer la succession des complots[32] et des procès politiques qui sont autant de tribunes pour insulter le roi et le ministère[33]. L'agitation est permanente, dans toutes les provinces, en Dauphiné, en Picardie, à Carcassonne, en Alsace… Ces excès ont pour effet de ramener le duc d'Orléans à des sentiments politiques plus modérés[34].
Dans la deuxième quinzaine de mai 1831[35], Louis-Philippe, accompagné du maréchal Soult, effectue un voyage officiel en Normandie et en Picardie, où il est chaleureusement accueilli. Du 6 juin au 1er juillet, avec ses deux fils aînés, le prince royal et le duc de Nemours, ainsi que le comte d'Argout, il effectue une tournée dans l'Est de la France, où les républicains et les bonapartistes sont nombreux et actifs. Le roi s'arrête successivement à Meaux, Château-Thierry, Châlons, Valmy, Verdun, Metz[36], Nancy[37], Lunéville, Strasbourg, Colmar, Mulhouse, Besançon et Troyes. Le voyage est un succès et donne à Louis-Philippe l'occasion d'affirmer son autorité[38].
Le 31 mai 1831, à Saint-Cloud, Louis-Philippe a signé une ordonnance qui dissout la Chambre des députés, fixe la date des élections au 5 juillet et convoque les chambres pour le 9 août. Le 23 juin, à Colmar, une nouvelle ordonnance a avancé cette date au 23 juillet[39].
Les élections générales ont lieu sans incident, selon la nouvelle loi électorale du 19 avril 1831. Le résultat déçoit Louis-Philippe et Casimir Perier : près de la moitié des députés sont de nouveaux élus, dont on ignore comment ils voteront. Le 23 juillet, le roi ouvre la session parlementaire ; le discours du trône développe le programme du gouvernement Casimir Perier : stricte application de la Charte au dedans, stricte défense des intérêts et de l'indépendance de la France au dehors. Les deux chambres tiennent leur première séance le 25 juillet[40]. Le 1er août, Girod de l'Ain, candidat du gouvernement, est porté à la présidence de la Chambre des députés contre Laffitte[41], mais Casimir Perier, estimant n'avoir pas obtenu une majorité suffisamment nette, présente aussitôt sa démission.
Louis-Philippe, très embarrassé, sonde Odilon Barrot, qui se dérobe en faisant observer qu'il ne dispose que d'une centaine de voix à la Chambre. Les 2 et 3 août, lors de l'élection des questeurs et secrétaires, la Chambre élit en revanche des candidats ministériels comme André Dupin et Benjamin Delessert[42]. En définitive, l'invasion de la Belgique par le roi des Pays-Bas, le 2 août, contraint Casimir Perier à reprendre sa démission pour répondre à la demande des Belges d'une intervention militaire française[43].
La discussion de l'adresse en réponse au discours du trône donne lieu à des débats enflammés au sujet de la Pologne, où quelques députés, emmenés par le baron Bignon, voudraient voir la France intervenir comme elle s'apprête à intervenir en Belgique. Casimir Perier résiste vigoureusement et obtient gain de cause : l'adresse se bornera à de vagues formules sur la question polonaise[44]. C'est, pour le gouvernement, une nette victoire[45] qui remet en selle le parti de la résistance.
Cédant à l'opinion dominante, Casimir Perier fait adopter un projet de loi abolissant l'hérédité de la pairie, vieille revendication de la gauche. Après de belles empoignades parlementaires, il parvient également à faire voter la loi du 2 mars 1832 relative à la liste civile, qui en arrête le montant à 12 millions par an plus un million pour le prince royal. Le garde des sceaux, Barthe, attache enfin son nom à l'un des monuments législatifs du règne : la loi du 28 avril 1832 modifiant le Code pénal et le Code d'instruction criminelle.
La pandémie de choléra, partie d'Inde en 1815, atteint Paris autour du 20 mars 1832. Elle tue 13 000 personnes rien qu'en avril, et continuera de ravager la capitale jusqu'en septembre, y faisant au total 18 000 morts. La maladie, dont on ignore encore la cause, jette la panique dans les esprits, le peuple n'hésitant pas à soupçonner des empoisonneurs, tandis que les chiffonniers se révoltent contre les mesures d'hygiène ordonnées par les autorités[réf. nécessaire].
Le choléra frappe également la famille royale – Madame Adélaïde est atteinte – et la classe politique – d'Argout et Guizot contractent la maladie. Casimir Perier, qui est allé le 1er avril avec le duc d'Orléans visiter les malades à l'Hôtel-Dieu, est atteint. Il doit s'aliter puis, son état empirant, cesser d'exercer ses fonctions de ministre de l'Intérieur. Au terme d'une longue agonie, il meurt le 16 mai 1832.
Débarrassé de Casimir Perier[46], Louis-Philippe n'est pas pressé de nommer un nouveau président du Conseil, d'autant que le parlement n'est pas en session et que la situation politique troublée exige des mesures rapides et énergiques.
Le régime est en effet attaqué de toute part : par les légitimistes, avec la tentative avortée de la duchesse de Berry de soulever la Provence et la Vendée durant le printemps 1832 et par les républicains, qui déclenchent à Paris, le 5 juin 1832, une insurrection à l'occasion des funérailles d'un de leurs chefs de file, le général Lamarque, lui aussi emporté par le choléra. Le pouvoir réagit avec fermeté, les troupes de ligne et, pour l'essentiel, la garde nationale, lui restent fidèles et le général Mouton peut écraser l'émeute dans le sang, faisant 800 morts ou blessés dans les deux camps.
Cette double victoire, sur les carlistes et sur les républicains, contribue grandement à consolider le régime[47], d'autant qu'au même moment, le bonapartisme est endeuillé par la mort du duc de Reichstadt, survenue le 22 juillet à Vienne. Louis-Philippe peut couronner ces succès sur le plan intérieur par une belle réussite sur le plan diplomatique : le mariage de sa fille aînée, la princesse Louise, au nouveau roi des Belges, Léopold Ier, célébré au château de Compiègne[48] le 9 août, date anniversaire de l'installation de la monarchie de Juillet, et qui consacre la solidité de la position de celle-ci en Europe.
En octobre 1832, Louis-Philippe appelle à la présidence du Conseil un homme de confiance, le maréchal Soult, première incarnation de la figure politique dite de l'« illustre épée », que la monarchie de Juillet reproduira à l'envi. Soult peut s'appuyer sur un triumvirat constitué des trois principales figures politiques du moment : Adolphe Thiers, le duc de Broglie et François Guizot, ce que le Journal des débats appelle « la coalition de tous les talents » et que le roi des Français finira par appeler avec rancœur un « Casimir Perier en trois personnes »[49].
Dans une circulaire adressée aux hauts fonctionnaires civils et militaires ainsi qu'aux hauts magistrats, le nouveau président du Conseil résume sa ligne de conduite en quelques mots : « Le système politique adopté par mon illustre prédécesseur sera le mien. […] L'ordre au-dedans et la paix au-dehors seront les gages les plus sûrs de sa durée. »[50]
Le nouveau ministre de l'Intérieur, Thiers, s'illustre dès le 7 novembre 1832 en faisant arrêter à Nantes la duchesse de Berry, qui est internée à la citadelle de Blaye. Elle sera expulsée vers l'Italie le 8 juin 1833, après avoir donné naissance à une fille, qu'elle déclare née d'un mariage contracté à Rome, à la fin de 1831, avec le comte Lucchesi-Palli.
En Belgique, le maréchal Gérard, à la tête d'une armée de 70 000 hommes, prête main-forte à la jeune monarchie belge pour repousser une agression hollandaise et, notamment, reprendre la citadelle d'Anvers, qui capitule le 23 décembre.
Fort de ces succès, le gouvernement aborde en position de force l'ouverture de la session parlementaire, le 19 novembre 1832[51], et Louis-Philippe peut aller faire l'épreuve de sa popularité en entreprenant deux tournées en province : dans le Nord, où il rend hommage à l'armée victorieuse qui rentre d'Anvers, du 5 au 20 janvier 1833[52], et en Normandie du 26 août au 12 septembre 1833[53].
Le roi et son gouvernement prennent des mesures populaires destinées à se concilier l'opinion publique, par exemple un programme de grands travaux, qui permet notamment d'achever un certain nombre de monuments parisiens, tel l'arc de triomphe de l'Étoile, et des gestes symboliques, comme la réinstallation, le 21 juin 1833, de la statue de Napoléon Ier sur la colonne Vendôme. Guizot, ministre de l'Instruction publique et des Cultes, met en place la célèbre loi sur l'instruction primaire de juin 1833 qui oblige à la création d'une école élémentaire dans chaque commune.
Enfin, le 1er avril 1834, la démission du duc de Broglie, mis en minorité à la Chambre des députés au sujet de la ratification d'un traité avec les États-Unis qui avait été conclu en 1831, entraîne un vaste remaniement ministériel dont le principal intérêt, pour le roi, est d'ôter au « Casimir Perier en trois personnes » celui de ses membres qui, par sa hauteur aristocratique et la raideur de son caractère, lui était le plus incommode.
Le remaniement ministériel du 4 avril 1834 coïncide avec le retour d'une situation quasi-insurrectionnelle dans plusieurs villes du pays. Déjà, à la fin du mois de février, la promulgation d'une loi soumettant à autorisation l'activité des crieurs publics a suscité, pendant plusieurs jours, des escarmouches avec la police parisienne.
Par la loi du 10 avril 1834, le gouvernement a décidé de durcir la répression des associations non autorisées, afin de contrer la principale des associations républicaines, la Société des Droits de l'Homme. Le jour du vote définitif de ce texte par la Chambre des pairs, le 9 avril, éclate la seconde insurrection des canuts lyonnais. Adolphe Thiers, ministre de l'Intérieur, abandonne la ville aux insurgés et la reprend le 13 avril, faisant 100 à 200 morts de part et d'autre.
Les républicains cherchent à étendre l'insurrection à d'autres villes de province, mais leur mouvement fait long feu à Marseille, Vienne, Poitiers et Châlons. Les troubles sont plus sérieux à Grenoble et surtout à Saint-Étienne le 11 avril, mais partout, l'ordre est rapidement rétabli. C'est en définitive à Paris que l'agitation prend le plus d'ampleur.
Thiers, qui a prévu des troubles dans la capitale, y a concentré 40 000 hommes, que le roi passe en revue le 10 avril. À titre préventif, il a fait arrêter 150 des principaux meneurs de la Société des Droits de l'Homme, et interdire son organe, le virulent quotidien La Tribune des départements. Malgré tout, dans la soirée du 13, des barricades commencent à se dresser. Avec le général Bugeaud, qui commande les troupes, Thiers dirige personnellement les opérations de maintien de l'ordre. La répression est féroce. La troupe, ayant essuyé des coups de feu tirés du no 12 de la rue Transnonain[54], le chef de détachement fait enlever la maison d'assaut ; tous les occupants – hommes, femmes, enfants, vieillards – sont massacrés à la baïonnette, ce qu'immortalise une célèbre lithographie d'Honoré Daumier.
Groupes politiques | Effectifs |
|||
---|---|---|---|---|
# | % | |||
Majorité | ~310 sièges | 67,4 % | ||
Opposition | ~120 sièges | 26,1 % | ||
Légitimistes | ~30 sièges | 06,5 % | ||
Total | 460 sièges | 100,0 % |
Le 14, alors qu'on continue de se battre dans Paris, les deux chambres viennent en corps au Palais des Tuileries pour apporter leur concours au roi dans ses efforts pour rétablir l'ordre public. Louis-Philippe décide de renoncer à la célébration officielle de sa fête, le 1er mai, et fait publier que les sommes qui y auraient été employées seront consacrées à secourir les blessés, les veuves et les orphelins. Dans le même temps, il ordonne au maréchal Soult de donner une grande publicité au récit des événements « pour éclairer le public, les chambres et toute la France et leur faire sentir combien l'augmentation de l'armée est nécessaire »[55]
Plus de 2 000 personnes sont arrêtées à la suite des différentes émeutes, notamment à Paris et à Lyon et sont déférées par ordonnance royale à la Cour des pairs, conformément à l'article 28 de la Charte de 1830, pour attentat contre la sûreté de l'État. L'état-major républicain est décapité, à telle enseigne que les funérailles de La Fayette, mort le 20 mai, ne donnent lieu à aucun incident. Dès le 13 mai, le gouvernement obtient de la Chambre des députés le vote d'un crédit de 14 millions pour pouvoir entretenir une armée de 360 000 hommes. Deux jours plus tard, les députés adoptent également une loi très répressive sur la détention et l'usage d'armes de guerre.
Louis-Philippe juge le moment opportun pour dissoudre la Chambre des députés et provoquer de nouvelles élections législatives qui se tiennent le 21 juin 1834[56], mais ne répondent pas entièrement aux attentes du roi : si les républicains sont quasiment éliminés, l'opposition reste forte de 150 sièges, dont une trentaine de légitimistes, le reste revenant à l'opposition dynastique d'Odilon Barrot, loyale au régime mais hostile à la résistance et favorable au mouvement ; dans la majorité, forte d'environ 300 députés, émerge le « Tiers-Parti », qui peut, sur certains votes, faire défection et unir une partie de ses voix à celles de la gauche.
La nouvelle Chambre, qui se réunit le 31 juillet[57], renouvelle naturellement à sa présidence André Dupin, chef du Tiers-Parti mais proche du roi[58]. Elle adopte à une large majorité[59] une adresse ambiguë, où la critique perce sous les formules convenues. Le 16 août, Louis-Philippe s'empresse de mettre les chambres en vacances jusqu'à la fin de l'année.
Thiers et Guizot, qui dominent le ministère, décident de se débarrasser du maréchal Soult, qu'ils trouvent obtus et impoli, mais dont le roi apprécie la complaisance à le laisser mener sa politique comme il l'entend. Un incident concernant le statut – civil ou militaire – des possessions françaises en Algérie sert de prétexte. Louis-Philippe se laisse forcer la main à regret, accepte la démission de Soult le 18 juillet 1834 et le remplace par le maréchal Gérard. Une « illustre épée » en chasse une autre, aucun remaniement n'étant par ailleurs opéré dans la composition du ministère.
Très rapidement, le ministère va se disloquer autour d'une question factice, montée en épingle par le Tiers Parti : l'éventualité d'une amnistie pour les « accusés d'avril ». Louis-Philippe y est hostile[60], tout comme les doctrinaires et le noyau dur de la majorité ministérielle, mais le Tiers Parti, faisant valoir toute la difficulté à organiser le procès de 2 000 prévenus devant la Chambre des pairs, alors qu'aucune procédure n'est définie, parvient à circonvenir le maréchal Gérard, qui se déclare favorable à l'amnistie. Lorsqu'il constate qu'il a contre lui le roi, Guizot et Thiers et n'a aucune chance d'imposer ses vues, il ne lui reste qu'à démissionner le 29 octobre.
S'ouvre alors une longue crise ministérielle qui dure près de quatre mois. Après des essais multiples de diverses combinaisons dont aucune ne fonctionne, Louis-Philippe constitue, ce qui est conforme à la logique politique de la situation, un ministère entièrement Tiers Parti. Mais, Dupin en ayant refusé la présidence, le roi commet l'erreur d'appeler, le 10 novembre 1834, une relique de l'Empire, le duc de Bassano.
Le nouveau président du Conseil est tellement perdu de dettes que, sitôt sa nomination annoncée, ses créanciers font saisir son traitement de ministre. La constitution du nouveau gouvernement sème à la fois l'hilarité et la consternation. La presse se déchaîne. Effarés par un tel accueil, les ministres démissionnent en bloc dès le 13 novembre, sans même prévenir le duc de Bassano, dont le cabinet gagne le sobriquet de « ministère des trois jours ». Le 18 novembre, Louis-Philippe revient à la figure de l'« illustre épée » en la personne du maréchal Mortier, duc de Trévise, à la tête d'un ministère qui est la copie conforme de celui que présidait le maréchal Gérard.
De cette crise, le Tiers Parti sort ridiculisé tandis que les doctrinaires triomphent. Le ministère veut pousser l'avantage en obligeant les députés à afficher clairement leur soutien à sa politique. Lors de la réunion des chambres le 1er décembre, le gouvernement présente un ordre du jour motivé qui pose clairement la question de confiance, et qui obtient une nette majorité[61]. Pourtant, à peine deux mois plus tard, le ministère tombe. De premières escarmouches ont lieu à propos du vote des crédits nécessaires pour aménager les locaux où doit se tenir le procès des insurgés d'avril[62]. L'opposition dénonce un ministère sans chef, à la tête duquel elle accuse Louis-Philippe d'avoir placé un fantoche pour mieux exercer son pouvoir personnel. La polémique s'enflamme, et l'on ressort, pour l'opposer à Louis-Philippe, la maxime que Thiers avait brandie face à Charles X : « Le roi règne mais ne gouverne pas ». En définitive, lorsque le maréchal Mortier démissionne le 20 février 1835, officiellement pour raisons de santé, le roi ne cherche pas un instant à le retenir.
Nourries par les opuscules de publicistes inspirés par les Tuileries comme ceux du baron Massias (Ce qu'est régner, gouverner, administrer, et du conseil des ministres) et du comte Roederer (Adresse d'un constitutionnel aux constitutionnels), les polémiques qui ont conduit au départ du maréchal Mortier ont tourné autour de la place de la couronne et des prérogatives du parlement. D'un côté, Louis-Philippe veut conduire sa propre politique, notamment dans les domaines qu'il considère comme « réservés », la défense et la diplomatie, et exige des ministres qu'ils se plient à ses volontés, en se passant au besoin de président du Conseil. De l'autre, une partie des députés affirment que le ministère doit avoir un chef et procéder de la majorité de la Chambre, et veulent achever ainsi une évolution du régime vers un parlementarisme que la Charte de 1830 n'a fait qu'esquisser[63].
Dans ce contexte, les députés estiment qu'ils doivent imposer à Louis-Philippe de choisir pour président du Conseil le duc de Broglie, pour la simple raison que c'est celui que le roi cherche absolument à éviter, car il se méfie de son anglophilie, et n'aime pas son indépendance et ses manières condescendantes. Après trois semaines de crise ministérielle, au cours de laquelle Louis-Philippe sollicite successivement Molé, Dupin, Soult, Sébastiani et Gérard, il doit se résoudre, le 12 mars 1835, à appeler le duc de Broglie et à accepter ses conditions, qui sont d'ailleurs proches de celles qu'avait imposées Casimir Perier.
Comme le premier gouvernement Soult, le nouveau ministère repose sur le triumvirat Broglie (Affaires étrangères) - Guizot (Instruction publique) - Thiers (Intérieur). D'emblée, le duc de Broglie lave l'affront que lui avait infligé la Chambre en 1834 en obtenant haut la main la ratification du traité du 4 juillet 1831 avec les États-Unis[64]. Il obtient également une large majorité dans le débat sur les fonds secrets, qui tient lieu de vote de confiance avec 256 voix pour et 129 contre.
La grande affaire du gouvernement Broglie est le procès des insurgés d'avril qui s'ouvre le 5 mai 1835 devant la Chambre des pairs. Sur les 2 000 prévenus, les pairs n'en ont en définitive inculpé que 164, dont 43 seront jugés par contumace[65]. 121 accusés sont présents le jour du procès. Ils multiplient les incidents de procédure et utilisent tous les moyens possibles pour transformer le procès en vaste opération de propagande républicaine. Le 12 juillet, une partie d'entre eux, parmi lesquels les principaux meneurs de l'insurrection parisienne, s'échappent de Sainte-Pélagie par un passage souterrain qui avait été préparé de longue date.
La cour des pairs rend son jugement à l'encontre des accusés lyonnais le 13 août 1835 puis, vu les résistances des prévenus, décide de juger sur pièces les autres prévenus, à l'encontre de qui les sentences sont prononcées en décembre 1835 et janvier 1836. Les peines sont plutôt clémentes : aucune condamnation à mort, quelques condamnations à la déportation, de nombreuses condamnations à quelques années d'emprisonnement et quelques acquittements.
Contrairement à ce qu'ils espéraient, les républicains ne sortent pas grandis, aux yeux de l'opinion, du procès des insurgés d'avril : ils ont donné d'eux-mêmes une image qui a paru ressusciter tous les excès du jacobinisme, et qui a surtout effrayé les bourgeois. L'attentat commis contre le roi le 28 juillet 1835 achève de les déconsidérer.
À l'occasion de l'anniversaire de la révolution de Juillet, Louis-Philippe doit passer en revue la garde nationale sur les grands boulevards. Malgré les rumeurs d'attentat, il refuse d'annuler la revue à laquelle il se rend entouré des aînés de ses fils – d'Orléans, Nemours, Joinville –, de plusieurs ministres, parmi lesquels le duc de Broglie et Thiers, et de nombreux maréchaux et officiers. À la hauteur du no 50 du boulevard du Temple, une « machine infernale »[66] placée sur l'appui de la fenêtre d'une maison explose. Miraculeusement, le roi n'a qu'une éraflure au front, ses fils sont indemnes, tandis que le maréchal Mortier est tué sur le coup avec dix autres personnes. Parmi les dizaines de blessés, sept meurent dans les jours suivants.
Les auteurs de l'attentat – un aventurier paranoïaque et vaniteux, ancien soldat de Murat, Giuseppe Fieschi, et deux républicains exaltés, liés à la Société des Droits de l'Homme, le sellier Pierre Morey et le droguiste Théodore Pépin – sont arrêtés au début du mois de septembre. Jugés devant la cour des pairs, ils sont condamnés à mort et guillotinés le 19 février 1836.
La brutalité du carnage a plongé la France en état de choc. Les républicains sont discrédités. L'opinion est prête pour des mesures énergiques. Aussi, dès le 4 août, le gouvernement a déposé à la Chambre trois projets de lois permettant de renforcer la répression contre les auteurs d'attentats contre le régime : « La Charte, justifie le duc de Broglie, établit la liberté politique, sous la forme de la monarchie constitutionnelle. Tous les partis sont libres dans l'enceinte de la monarchie constitutionnelle. Dès qu'ils en sortent, la liberté ne leur est pas due. Ils se mettent eux-mêmes hors de la loi politique. […] La liberté de la presse ne domine pas les autres institutions. […] C'est un principe fondamental de la monarchie constitutionnelle que le monarque est au-dessus de toute atteinte, de toute discussion. »[67]
Les trois lois sont promulguées ensemble le 9 septembre 1835. Elles marquent le succès définitif de la politique de résistance engagée depuis Casimir Perier sur le harcèlement républicain, et la consolidation de la monarchie de Juillet, débarrassée de toute contestation portant sur le fondement même du régime. Celle-ci se déplace désormais sur d'autres terrains : l'interprétation de la Charte et la nature du régime, avec la revendication des députés d'une évolution parlementaire ; puis, à partir de 1840, la demande grandissante en faveur d'un élargissement du suffrage, qui voit réapparaître la contestation républicaine sous la forme de la revendication du suffrage universel.
Après le succès de la promulgation des lois de septembre, le ministère obtient le vote à une large majorité[68], le 13 janvier 1836, d'une adresse plutôt favorable, rédigée par Sauzet. Pourtant, il va tomber sur une question tout à fait inattendue.
Le 14 janvier, alors que la Chambre aborde la discussion du budget, le ministre des Finances, Georges Humann, annonce, sans en avoir averti ses collègues, son intention de procéder à une conversion de la rente française 5 % pour alléger le poids de la dette publique. C'est une véritable bombe politique, car la rente est une composante essentielle des fortunes de la bourgeoisie, base politique du régime. Aussi le Conseil des ministres désavoue-t-il immédiatement Humann, qui est contraint à la démission le 18 janvier, cependant que le duc de Broglie explique à la Chambre que le gouvernement ne soutient pas sa proposition. Mais il le fait en termes jugés cassants, qui indisposent les députés : l'un d'entre eux, le banquier Alexandre Goüin, dépose aussitôt une proposition de loi tendant à la conversion de la rente qui est renvoyée devant la Chambre où elle est débattue à partir du 4 février. Le lendemain, les députés décident de poursuivre son examen par 194 voix contre 192. Désavoué, le gouvernement démissionne aussitôt : c'est la première fois qu'un ministère tombe après avoir été mis en minorité devant la Chambre des députés.
La chute du ministère Broglie pourrait marquer un tournant décisif dans l'évolution du régime vers le parlementarisme. Mais il n'en sera rien : Louis-Philippe, avec une habileté manœuvrière consommée, va feindre de jouer le jeu parlementaire, mais pour mieux le neutraliser.
Le roi va profiter de la crise ministérielle pour se débarrasser des doctrinaires, c'est-à-dire non seulement le duc de Broglie, mais également Guizot, replâtrer le ministère avec quelques créatures du Tiers Parti pour donner à celui-ci l'illusion d'une inflexion à gauche, et mettre à sa tête Adolphe Thiers dans le dessein de le détacher définitivement des doctrinaires[69] et de l'user jusqu'à ce que sonne l'heure du comte Molé, que le roi a résolu depuis longtemps d'appeler à la présidence du Conseil. Entortillé dans des tractations alambiquées, ce plan est mis en œuvre comme Louis-Philippe l'entend : le nouveau ministère est constitué le 22 février 1836.
Le jour même, Thiers s'exprime devant la Chambre des députés : il justifie la politique de résistance menée jusqu'alors[70], mais il reste fort vague sur son programme, se bornant à promettre « des jours meilleurs » et à récuser les « systèmes ».
À la Chambre, qui ajourne aisément, le 22 mars, la proposition de conversion des rentes – preuve, s'il en était besoin, que le sujet n'avait été qu'un prétexte – le débat sur les fonds secrets, marqué par un discours remarqué de Guizot et une réponse fuyante du garde des sceaux, Sauzet, est conclu par un vote largement favorable au gouvernement[71].
Si Thiers a accepté la présidence du Conseil et pris le portefeuille des Affaires étrangères, c'est parce qu'il espère pouvoir négocier le mariage du duc d'Orléans avec une archiduchesse d'Autriche : depuis l'attentat de Fieschi, le mariage de l'héritier du trône, qui vient d'avoir vingt-cinq ans, est l'obsession de Louis-Philippe, et Thiers se verrait bien, tel un nouveau Choiseul, en artisan d'un spectaculaire renversement d'alliances en Europe. Mais la tentative se solde par un échec : Metternich et l'archiduchesse Sophie, qui domine la cour de Vienne, rejettent une alliance avec la famille d'Orléans, qu'ils estiment bien peu assurée sur son trône.
L'attentat d'Alibaud contre Louis-Philippe, le 25 juin, vient d'ailleurs justifier leurs craintes. À l'échec sur le plan international vient ainsi s'ajouter pour Thiers, un échec sur le plan intérieur, avec la résurgence de la menace républicaine, à telle enseigne que l'inauguration de l'arc de triomphe de l'Étoile, le 29 juillet, qui aurait dû être l'occasion d'une grande cérémonie de concorde nationale, au cours de laquelle la monarchie de Juillet se serait réchauffée à la gloire de la Révolution et de l'Empire, se déroule en catimini, à sept heures du matin et hors la présence du roi.
Pour restaurer sa popularité et se venger de l'Autriche, Thiers caresse l'idée d'une intervention militaire en Espagne, que réclame la reine-régente Marie-Christine, confrontée à la rébellion carliste. Mais Louis-Philippe, conforté par Talleyrand et Soult, s'y oppose résolument, ce qui entraîne la démission de Thiers. Cette fois, le gouvernement est tombé non à la suite d'un vote hostile de la Chambre – le Parlement n'est pas en session – mais en raison d'un désaccord avec le roi sur la politique étrangère, preuve que l'évolution parlementaire du régime reste alors tout à fait incertaine.
Le nouveau ministère est constitué le 6 septembre 1836 sous la présidence du comte Molé. Depuis longtemps, Louis-Philippe est subjugué par le charme de ce parfait homme de cour, ancien Grand juge de Napoléon Ier, issu d'une illustre famille de parlementaires parisiens. Le nouveau ministère, où rentrent les doctrinaires Guizot, Duchâtel et Gasparin, ne compte – la presse en fait aussitôt la remarque – aucune des illustrations des Trois Glorieuses.
Soucieux de conforter une popularité incertaine, le ministère prend immédiatement quelques mesures d'inspiration humaniste : généralisation de l'incarcération cellulaire[72], suppression de la chaîne des forçats, grâce royale pour 52 condamnés politiques, tant légitimistes que républicains, et notamment pour les anciens ministres de Charles X[73]. Le 25 octobre 1836, l'érection de l'obélisque de Louxor sur la place de la Concorde donne au roi le plaisir d'une ovation publique.
Le 30 octobre 1836, la tentative de soulèvement de Strasbourg de Louis-Napoléon Bonaparte tourne rapidement court. Le prince et ses complices sont arrêtés le jour même, au grand embarras du gouvernement qui ne sait que faire de cet encombrant prisonnier. En dehors de toute procédure légale, le ministère le fait transporter à Lorient où il est embarqué, le 21 novembre, sur L'Andromède qui le conduit aux États-Unis.
Les autres conjurés sont déférés à la cour d'assises de Strasbourg qui les acquitte le 18 janvier 1837. Aussi, dès le 24 janvier 1837, le ministre de la Guerre, le général-baron Bernard, dépose à la Chambre des députés le projet de loi dit « de disjonction » qui vise à permettre d'opérer, en cas de tentative d'insurrection, une disjonction entre les civils, justiciables de la cour d'assises, et les militaires, qui seraient traduits devant le conseil de guerre, par exception au principe de l'indivisibilité de la procédure. Le projet est vivement combattu par l'opposition et, à la surprise générale, il est repoussé le 7 mars par 211 voix contre 209.
Après ce camouflet, l'on s'attend à ce que le gouvernement démissionne, ce qui serait la logique même d'un système parlementaire. Pourtant, malgré les attaques de la presse, Louis-Philippe maintient le cabinet Molé en fonctions. Mais, privé de majorité parlementaire solide, le ministère est comme paralysé. Il doit renoncer à ouvrir le débat sur les projets de loi d'apanage au profit du duc de Nemours et d'allocation pour la dot de la reine des Belges[74]. Pendant un mois et demi, du 7 mars au 15 avril, Louis-Philippe fait mine d'essayer diverses combinaisons ministérielles avant de constituer un nouveau ministère où rentre Montalivet, proche du roi, mais dont sort Guizot, qui s'entendait de plus en plus mal avec Molé, confirmé dans ses fonctions de chef du gouvernement.
Vis-à-vis de la Chambre des députés, le nouveau cabinet frise la provocation : non seulement Molé est maintenu en fonctions, mais on y fait entrer le rapporteur du projet de loi de disjonction, Salvandy, et celui du projet de loi concernant la dot de la reine des Belges, Lacave-Laplagne, qui avaient l'un et l'autre défendu des textes repoussés par les députés. Tout le monde s'attend à ce que le gouvernement, aimablement qualifié par la presse d'opposition de « ministère de laquais » ou de « ministère du château », tombe rapidement.
Lorsque Molé monte à la tribune le 18 avril, les députés l'attendent donc de pied ferme. « Messieurs, annonce le président du Conseil, le roi nous a chargés de vous communiquer un événement également heureux pour l'État et pour sa famille… »[75] Il s'agit du futur mariage du prince royal avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. L'annonce de cette nouvelle coupe court à toute critique et à tout débat. Les députés ne peuvent qu'entériner l'augmentation de la dotation du duc d'Orléans[76], et la dot de la reine des Belges, qui leur est représentée aussitôt[77], d'autant que Molé leur précise que « S.M. a décidé que la demande présentée pour le prince son second fils [le duc de Nemours] serait ajournée »[75].
Fort de ce début habile, le gouvernement se tire sans encombres du débat sur les fonds secrets, malgré les attaques d'Odilon Barrot[78]. Une ordonnance du 8 mai, bien accueillie par les Chambres, décrète une amnistie générale pour tous les condamnés politiques. Parallèlement, les crucifix sont rétablis dans les tribunaux et l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, fermée depuis 1831, est rendue au culte. Pour bien montrer que l'ordre est rétabli, le roi passe la Garde nationale en revue sur la place de la Concorde.
Le mariage du duc d'Orléans est célébré avec faste au château de Fontainebleau le 30 mai 1837.
Quelques jours plus tard, le 10 juin, Louis-Philippe inaugure le château de Versailles, qu'il a fait restaurer depuis 1833 pour y installer un musée d'histoire dédié « à toutes les gloires de la France », et où, dans le cadre d'une politique de réconciliation nationale, les gloires militaires de la Révolution et de l'Empire, et même celles de la Restauration, voisinent avec celles de l'Ancien Régime.
Le régime semble désormais stabilisé, la prospérité économique est revenue. Aussi le roi et Molé jugent-ils, contre l'opinion du duc d'Orléans, le moment propice pour prononcer la dissolution de la Chambre des députés, décidée le 3 octobre 1837. Pour peser sur les élections, Louis-Philippe décide l'expédition de Constantine en Algérie, qui aboutit à la prise de la ville par le général Valée et le duc de Nemours le 13 octobre.
Les élections, qui ont lieu le 4 novembre 1837, ne répondent pas aux espoirs de Louis-Philippe. Sur 459 députés, les ministériels ne sont que 220 environ, majorité relative, étroite, incertaine. Les extrêmes comptent une vingtaine de députés à droite (légitimistes) et une trentaine à gauche (républicains). Le centre droit (doctrinaires) aligne une trentaine de députés, le centre gauche une soixantaine et l'opposition dynastique 65. Le tiers parti n'a plus qu'une quinzaine de députés, tandis qu'une trentaine d'indécis sont inclassables dans les catégories précédentes.
Groupes politiques | Effectifs |
|||
---|---|---|---|---|
# | % | |||
Conservateurs ministériels | ~220 sièges | 47,9 % | ||
Opposition dynastique | ~65 sièges | 14,2 % | ||
Centre Gauche | ~60 sièges | 13,1 % | ||
Doctrinaires | ~30 sièges | 6,5 % | ||
Républicains | ~30 sièges | 6,5 % | ||
Légitimistes | ~20 sièges | 4,4 % | ||
Tiers Parti | ~15 sièges | 3,3 % | ||
Indécis | ~30 sièges | 6,5 % | ||
Total | 459 sièges | - |
Le risque est considérable, dans une chambre ainsi composée, qu'une coalition hétéroclite se forme pour renverser le gouvernement, sans pour autant que puisse émerger une majorité cohérente : c'est exactement ce qui va se produire.
Dès janvier 1838, à l'occasion du débat sur l'adresse, le gouvernement est vivement pris à partie, notamment par Charles Gauguier à propos des députés fonctionnaires[79], et surtout par Adolphe Thiers et ses amis au sujet des affaires d'Espagne. Malgré tout, grâce aux voix des doctrinaires, il obtient, le 13 janvier, le vote d'une adresse favorable par 216 voix contre 116.
Thiers a perdu la première manche, mais il est apparu clairement que le gouvernement est l'otage des doctrinaires, au moment même où Guizot ne cesse de s'éloigner de Molé[80]. Le 12 mars, lors du débat sur les fonds secrets, Guizot ne le dissimule pas : « N'est-il pas évident, interroge-t-il, qu'il y a peu d'union intime, peu d'action réciproque entre le gouvernement et les chambres ? »[81] Pourtant, le gouvernement obtient le vote de la confiance le 15 mars par 249 voix contre 133 et, en dépit de quelques escarmouches[82], il parvient à tenir jusqu'à la fin de la session parlementaire après avoir obtenu, le 20 juin, le vote du budget de 1839[83].
Pendant toute l'année 1838, l'opposition fourbit ses armes et une coalition se forme pour renverser le ministère. La session parlementaire s'ouvre le 17 décembre. Le 19, Dupin aîné, proche des Tuileries, n'est réélu que de justesse[84]. Au sein de la commission chargée de rédiger le projet d'adresse, les députés de la coalition sont majoritaires[85], mais le 19 janvier, le ministère parvient à faire adopter, par 221 boules blanches contre 208 boules noires, un texte qui, après plusieurs amendements au projet initial, lui est plutôt favorable.
Si la coalition est donc vaincue, Molé estime ne pas pouvoir continuer à gouverner avec une majorité aussi étroite et aussi incertaine et il remet sa démission au roi le 22 janvier 1839. Le roi commence par la refuser puis, après avoir approché en vain le maréchal Soult pour prendre la tête du ministère[86], décide, le 2 février 1839, de dissoudre la Chambre des députés et convoque les électeurs pour le 2 mars et les Chambres pour le 26.
La campagne électorale se déroule dans une atmosphère enfiévrée. L'opposition de gauche crie au coup de force constitutionnel, rapprochant les dissolutions de 1837 et 1839 des deux dissolutions consécutives de Charles X en 1830. Thiers compare Molé et Polignac et déplore de voir « se renouveler, après huit années seulement, des fautes si graves, si cruellement punies »[87]. Guizot reproche aux ministres d'isoler le roi de la Nation[88].
Le 2 mars, les élections déçoivent les espoirs de Louis-Philippe. Les 221 députés qui avaient soutenu le ministère ne sont plus que 199 tandis que la coalition rassemble 240 membres. Lors du conseil du 8, Molé présente sa démission que le roi est contraint d'accepter.
Groupes politiques | Effectifs |
|||
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# | % | |||
Tiers parti & républicains | 240 sièges | 52,3 % | ||
Conservateurs ministériels | 199 sièges | 43,4 % | ||
Légitimistes | 20 sièges | 4,4 % | ||
Total | 459 sièges | 100,0 % |
La coalition qui s'est opposée au gouvernement Molé est hétéroclite et a les plus grandes peines à faire émerger en son sein une majorité stable. Les années 1839-1840 sont largement marquées par des jeux parlementaires compliqués, qui entraînent un retour de l'instabilité ministérielle, jugulée pendant les deux années et demi où le roi avait maintenu Molé en place.
Après la chute de Molé, Louis-Philippe fait tout de suite appel au maréchal Soult, « manche brillant auquel on peut au besoin adapter des lames de toute forme et de toute trempe »[89], qui essaie en vain de mettre sur pied un ministère réunissant les trois principales têtes de la coalition – Guizot, Thiers et Odilon Barrot – puis, devant le refus persistant des doctrinaires, un cabinet de centre gauche, qui butte sur l'intransigeance de Thiers sur les affaires d'Espagne[90].
Devant l'impossibilité de former un gouvernement, le roi doit reporter au 4 avril l'ouverture de la session parlementaire, prévue initialement le 26 mars. Thiers fait échouer un essai de combinaison l'associant au duc de Broglie et à Guizot. Louis-Philippe cherche alors à l'éloigner en lui offrant une grande ambassade, ce qui fait aussitôt pousser des hauts cris à ses amis. En définitive, le roi doit se résoudre à constituer, le 31 mars, un ministère de transition, formé de personnages relativement incolores politiquement, pour pouvoir ouvrir la session parlementaire et laisser la situation se décanter. Les nouveaux ministres n'ont accepté leurs portefeuilles que « sous la condition expresse de cesser leurs fonctions aussitôt qu'un ministère définitif serait formé »[91].
La session parlementaire s'ouvre le 4 avril dans une atmosphère quasi-insurrectionnelle[92]. Pour l'élection du président de la Chambre, Thiers fait campagne pour Odilon Barrot, mais la manière dont, pendant la crise gouvernementale, le petit homme a fait échouer toutes les combinaisons ministérielles a déplu à certains de ses amis. Une partie du centre gauche fait dissidence et présente Hippolyte Passy contre Barrot. Les députés ministériels et les doctrinaires votent en masse pour Passy qui l'emporte par 227 voix contre 193. Ce vote démontre que la coalition a éclaté et qu'il existe une majorité pour empêcher toute solution de gauche.
Pour autant, les tractations pour former un nouveau gouvernement se poursuivent sans succès du fait de l'intransigeance de Thiers qui fait promettre à ses amis de n'entrer dans aucune combinaison sans son aval. La situation paraît complètement bloquée quand, le 12 mai, la Société des saisons, société secrète républicaine, dont les meneurs sont Martin Bernard, Armand Barbès et Auguste Blanqui, déclenche une opération insurrectionnelle à Paris, rue Saint-Denis et rue Saint-Martin.
L’opération échoue et les conjurés sont arrêtés. Mais cet événement renverse la situation politique : le soir même, Louis-Philippe est en mesure de former un nouveau gouvernement sous la présidence du maréchal Soult, accouru l'un des premiers aux Tuileries pour témoigner de son soutien au roi et à la monarchie de Juillet, et personnalité à qui Louis-Philippe songeait depuis le début de la crise ministérielle. Le roi a donc gagné la partie et fait émerger une combinaison qui lui convient.
Aussitôt, la situation politique semble se calmer. Le vote sur les fonds secrets, à la fin mai, donne une très forte majorité[93] au nouveau gouvernement, qui obtient aussi le vote du budget de 1840, à la fin juillet, avec une majorité encore plus large[94]. La session s'achève sans encombres le 6 août. Après la reprise des travaux parlementaires le 23 décembre, la Chambre vote une adresse plutôt favorable au ministère le 15 janvier 1840 par 212 voix contre 43. Pourtant, le ministère tombe le 20 février sur le rejet par la Chambre, par 226 voix contre 200, du projet de loi de dotation pour le duc de Nemours à l'occasion de son prochain mariage avec la princesse Victoire de Saxe-Cobourg-Kohary[95].
La chute du ministère Soult impose au roi de faire appel à la principale figure de la gauche, Adolphe Thiers, pour former le nouveau gouvernement. Il y a d'autant moins d'alternative à droite que Guizot, nommé ambassadeur à Londres en remplacement de Sébastiani, vient de partir pour le Royaume-Uni.
Pour Thiers, c'est l'heure de la revanche : il compte profiter de ce retour aux affaires pour laver l'affront de 1836 et engager définitivement le régime dans la voie du parlementarisme, avec un roi qui « règne mais ne gouverne pas », selon sa célèbre formule, et un ministère émanant de la majorité de la Chambre des députés et responsable devant elle. Ce n'est évidemment pas la conception de Louis-Philippe. Se noue ainsi la dernière manche d'une partie décisive entre les deux conceptions de la monarchie constitutionnelle et les deux lectures de la Charte qui se sont affrontées depuis 1830.
Le ministère est formé le 1er mars 1840. Thiers a feint d'offrir la présidence du Conseil au duc de Broglie, puis au maréchal Soult, avant de « se dévouer » et de la prendre lui-même, conjointement avec les Affaires étrangères. L'équipe est jeune, 47 ans en moyenne, et son chef n'a lui-même que 42 ans, ce qui lui fait dire en riant qu'il a constitué un cabinet de « jeunes gens ».
D'emblée, les relations sont difficiles avec le roi, qui prend (ou feint de prendre) le retour de Thiers comme une véritable « humiliation ». Louis-Philippe met Thiers dans l'embarras en suggérant qu'on donne le bâton de maréchal à Sébastiani, qui rentre de son ambassade de Londres : le chef du gouvernement est partagé entre son désir de faire plaisir à l'un de ses amis politiques et sa crainte que cette première mesure ne paraisse guidée par le même favoritisme qu'il avait reproché naguère aux « ministères du château ». Il décide donc d'attendre et le roi, selon Charles de Rémusat, « n'insiste pas et prend la chose sèchement, comme un homme qui s'y attend et qui n'est pas fâché de constater dès le premier pas la résistance de ses ministres à ses vœux les plus naturels »[96].
Au Parlement, en revanche, Thiers marque des points dans le débat sur les fonds secrets commencé le 24 mars, où il obtient la confiance par 246 voix contre 160.
Bien que classé au centre gauche, Thiers s'affirme, au cours de son second ministère, comme un conservateur étroit, tout dévoué à la protection des grands intérêts de la bourgeoisie. S'il fait voter la conversion des rentes, mesure chère à la gauche, par les députés, c'est avec la certitude qu'elle sera rejetée par la Chambre des pairs, qui y est résolument hostile[97].
En même temps qu'il flatte la bourgeoisie conservatrice, Thiers caresse le désir de gloire d'une grande partie de la gauche. Le 12 mai 1840, le ministre de l'Intérieur, Rémusat, annonce à la Chambre des députés que le roi a décidé que les restes mortels de Napoléon Ier seront inhumés aux Invalides. Avec l'accord du gouvernement britannique, le prince de Joinville ira les chercher à Sainte-Hélène sur un navire de guerre, la frégate la Belle-Poule, et les ramènera en France.
L'annonce suscite un effet immense dans l'opinion, qui s'enflamme aussitôt de ferveur patriotique. Thiers y voit l'achèvement de l'entreprise de réhabilitation de la Révolution et de l'Empire qu'il a conduite avec son Histoire de la Révolution française et son Histoire du Consulat et de l'Empire, tandis que Louis-Philippe – qui ne s'est laissé que difficilement convaincre de tenter une opération dont il mesure les risques – cherche à capter à son profit un peu de la gloire impériale en s'appropriant l'héritage symbolique de Napoléon comme il s'est approprié celui de la monarchie légitime à Versailles.
Voulant profiter du mouvement de ferveur bonapartiste, le prince Louis-Napoléon débarque à Boulogne-sur-Mer, le 6 août 1840, en compagnie de quelques comparses parmi lesquels un compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, le général de Montholon[102], avec l'espoir de rallier le 42e régiment de ligne. L'opération est un échec total : Louis-Napoléon et ses complices sont arrêtés et incarcérés au fort de Ham. Leur procès se tient devant la Chambre des pairs du 28 septembre au 6 octobre, dans une indifférence générale[103]. Le prince, défendu par le célèbre avocat légitimiste Berryer, est condamné à l'emprisonnement perpétuel[104].
En Algérie, face aux raids meurtriers lancés par Abd el-Kader en représailles à la suite de la chevauchée des Portes de Fer réalisée par le maréchal Valée et le duc d'Orléans à l'automne 1839, Thiers pousse en faveur d'une colonisation de l'intérieur du territoire jusqu'aux limites du désert. Il convainc le roi, qui voit dans l'Algérie un théâtre idéal pour permettre à ses fils de couvrir sa dynastie de gloire, du bien-fondé de cette orientation et le persuade d'envoyer sur place, comme gouverneur général, le général Bugeaud[105].
En Orient, Thiers soutient le pacha d'Égypte, Méhémet-Ali, dans son ambition de constituer un vaste Empire arabe de l'Égypte à la Syrie, et cherche à l'amener à conclure un accord avec l'Empire ottoman, sous l'égide de la France, et à l'insu des quatre autres puissances européennes (Royaume-Uni, Autriche, Prusse et Russie). Mais le ministre des Affaires étrangères britanniques, Palmerston, informé de cette négociation, s'empresse de négocier entre les quatre puissances un traité qui règle la question d'Orient en mettant la France devant le fait accompli : conclu le 15 juillet 1840, le traité confirme à Méhémet-Ali le pachalik héréditaire d'Égypte et celui d'Acre, mais seulement à titre viager ; encore ces concessions sont-elles subordonnées à une acceptation expresse, faute de quoi le pacha se voit menacé de perdre jusqu'à l'Égypte.
Lorsqu'elle est révélée en France, cette convention provoque une explosion de colère patriotique : la France se retrouve écartée du règlement du sort d'une zone où elle exerce traditionnellement son influence, alors même que la Prusse, qui n'y a aucun intérêt, y est associée. Louis-Philippe fait mine de se joindre à la protestation générale, mais il sait qu'il tient, avec cette affaire, l'occasion de se débarrasser de Thiers[106].
Ce dernier flatte les sentiments patriotiques de l'opinion en décrétant, le 29 juillet, la mobilisation des soldats des classes 1836 à 1839 et en faisant commencer, le 13 septembre, les travaux des fortifications de Paris. Mais la France reste inerte et doit ravaler son humiliation lorsque, le 2 octobre, la flotte britannique bombarde et prend Beyrouth, victoire aussitôt suivie de la destitution de Méhémet-Ali par le sultan.
Au terme de longues tractations entre le roi et Thiers, un compromis est trouvé le 7 octobre : la France renonce à soutenir les prétentions de Méhémet-Ali sur la Syrie mais déclare aux puissances européennes qu'elle ne permettrait pas qu'il soit touché à l'Égypte. Ces principes sont consignés dans une note datée du 8 octobre adressée aux quatre puissances signataires du traité du 15 juillet. Celle-ci s'avère un succès diplomatique : le Royaume-Uni doit en définitive reconnaître la souveraineté héréditaire de Méhémet-Ali sur l'Égypte et renoncer à la déchéance organisée par ce traité. La France a obtenu le retour à la situation de 1832.
Néanmoins, après cet épisode, la fracture est irrémédiable entre le roi et son ministre. Le 29 octobre, lorsque Charles de Rémusat présente au Conseil des ministres le projet de discours du trône, préparé par Hippolyte Passy, Louis-Philippe le trouve trop belliqueux. Après une brève discussion, Thiers et ses collègues remettent leur démission que le roi accepte aussitôt. Dès le lendemain, Louis-Philippe fait mander Soult et Guizot pour qu'ils regagnent Paris au plus vite.
En appelant au pouvoir Guizot et les doctrinaires, c'est-à-dire le centre droit après le centre gauche de Thiers, Louis-Philippe est sans doute loin de penser que cette combinaison va durer jusqu'à la fin de son règne. Sans doute imagine-t-il plutôt qu'au bout de quelques mois, il pourra revenir à Molé. Or, l'équipe ainsi constituée va se révéler soudée autour de la forte personnalité de Guizot et celui-ci ne va pas tarder à gagner la confiance du roi jusqu'à devenir son Premier ministre préféré, lui faisant oublier Molé.
Guizot, qui a quitté Londres[107] le 25 octobre, est arrivé le lendemain à Paris. Il a subordonné son retour aux affaires à la possibilité de composer le ministère comme il l'entend. Avec habileté, il se borne à prendre pour lui-même le portefeuille des Affaires étrangères et laisse la présidence nominale du ministère au maréchal Soult : ceci satisfait le roi et la famille royale sans gêner en rien Guizot sur l'essentiel, car le maréchal vieillissant est prêt, pour peu qu'on lui donne quelques satisfactions de détail, à le laisser gouverner comme il l'entend. Le centre gauche ayant refusé de rester au gouvernement, celui-ci ne comprend que des conservateurs, du centre ministériel au centre droit doctrinaire.
La colonne de Juillet est érigée en mémoire des Trois Glorieuses. La question d'Orient est réglée par la Convention des Détroits en 1841, ce qui permet un premier rapprochement franco-britannique. Cela favorise la colonisation de l'Algérie conquise par Charles X.
Le gouvernement est orléaniste, ainsi que la Chambre. Celle-ci est divisée entre :
Guizot s'appuie sur le parti conservateur et une opposition divisée, situation accentuée par la dissolution de la Chambre qui renforce les partisans du roi. Ainsi, il considère que toute réforme s'avère être un danger et est inutile. Aussi refuse-t-il toute réforme qui abaisserait le cens, et accepte encore moins l'idée du suffrage universel direct. Selon lui, la monarchie doit favoriser la « classe moyenne », les notables. Ceux-ci sont réunis par la propriété foncière, une « morale » liée à l'argent, le travail et l'épargne. « Enrichissez vous par le travail et par l'épargne et ainsi vous serez électeur ! »[citation nécessaire]. Guizot s'acharne à favoriser les propriétaires et à conserver le régime. Il est aidé par le décollage économique du pays de 1840 à 1846. Avec un rythme de croissance de 3,5 % par an, les revenus agricoles augmentent, ainsi que le pouvoir d'achat, qui entraîne une hausse de la production industrielle. Le réseau des transports connaît une croissance spectaculaire. En 1842, une loi organise le réseau ferré national, qui passe de 600 à 1 850 km.
L'époque est caractérisée par l'éclosion d'un nouveau phénomène social baptisé paupérisme. Lié à l'industrialisation et à la concentration ouvrière, il s'agit de la pauvreté durable et massive des ouvriers, qui ne peuvent améliorer leur niveau de vie. De plus, les anciennes solidarités de congrégations caractéristiques de l'Ancien Régime ont disparu. La situation ouvrière est catastrophique. Journée de 14 heures, salaires à 0,20 franc par jour, travail incessant, sans jour de congé dans la semaine ni même dans l'année, et ce uniquement pour subvenir à leurs besoins vitaux, les ouvriers sont à la merci des patrons. Les 250 000 mendiants et les 3 millions de Français inscrits aux bureaux de bienfaisance constituent un réservoir d'insatisfaits, face à une assistance publique inexistante. Les bourgeois en sont conscients et Karl Marx entame à cette époque sa théorisation du « capitalisme ». Cette situation aboutit en 1841 à la seule loi sociale du régime, qui interdit le travail aux enfants de moins de 8 ans et le travail de nuit pour ceux de moins de 13 ans, loi rarement appliquée. Les chrétiens imaginent une « économie charitable »[réf. nécessaire]. Les libéraux entrevoient une solution dans le libre-échange et la fin des monopoles d'alors. Alexis de Tocqueville publie De la démocratie en Amérique. Les socialistes utopiques imaginent des organisations sociales originales, inspirées de Claude-Henri de Saint-Simon et de Charles Fourier. Blanqui prône quant à lui la révolution puis la dictature socialiste. L'opposition trouve à s'exprimer lors de la crise sociale de 1846.
En 1846, la récolte est très mauvaise. L'augmentation des prix du blé, qui atteindra un record durant l'été 1847, base de l'alimentation, provoque la disette et ce dernier ne peut être remplacé par la pomme de terre car il y a à l'époque beaucoup de maladies liée à la pomme de terre. Pour pallier les disettes, le gouvernement fait importer du blé de la Russie impériale. Le pouvoir d'achat baisse. Le marché de consommation intérieur ne progresse plus, entraînant une crise industrielle de surproduction. Immédiatement les patrons s'adaptent en renvoyant leurs ouvriers. Aussitôt, on assiste à un retrait massif de l'épargne populaire, le système bancaire est en crise. Les faillites se multiplient, les cours de la Bourse chutent. L'État réagit en important du blé russe, ce qui rend la balance commerciale négative. Les grands travaux stoppent. La spéculation trop grande sur le marché des chemins de fers provoque un éclatement de la "bulle financière" et ruine des épargnants.
A cette crise économique s'ajoute une crise politique. En 1847, le roi, qui a 75 ans, devient de plus en plus autoritaire et oublie qu'il n'est là que pour représenter la continuité de l'Etat et, selon une fameuse formule de Thiers, qu'il n'est que là pour régner et non pas pour gouverner. Guizot, lui, est en totale confiance et n'entend pas les protestations qui viennent pourtant parfois de son propre camp. Quelques députés du parti de la résistance proposent à Guizot de légères réformes dont le gouvernement pourrait se contenter et qui contenteraient la gauche orléaniste, exclue du pouvoir depuis 1840, mais Guizot reste inflexible et refuse de changer de ligne politique. Il se met ainsi à dos une partie de l'oligarchie bourgeoise, pourtant base fondatrice du régime, et mène le régime vers sa chute désormais inévitable.
Pour ne rien arranger, la France est également dans une situation internationale assez épineuse en particulier avec le Royaume-Uni. À la suite de l'affaire Pritchard où les Français violèrent l'aire d'influence britannique, Guizot, pacifiste convaincu, multiplie les discussions pour éviter une guerre. L'Entente Cordiale est signée entre les deux pays. Ce traité d'amitié lui est fortement reproché, en effet, la majeure partie de la population est alors anti-britannique et trouve en Guizot un anglophile convaincu, l'image de l'homme d'Etat est écorchée.
Les manifestations ouvrières se développent. Un phénomène se développe, les ouvriers cassent des machines car ils les tiennent pour responsable de leur perte de travail: c'est le luddisme. En 1847, émeutes du Buzançais. À Roubaix, 60 % des ouvriers sont au chômage. Les affaires de corruption (affaire Teste-Cubières) et les scandales (affaire Choiseul-Praslin) entachent le régime.
Les associations étant encadrées et les rassemblements publics interdits à partir de 1835, l'opposition est bloquée. Pour contourner cette loi, les opposants suivent les enterrements civils de certains d'entre eux, qui se transforment en manifestations publiques. Les fêtes de famille et les banquets servent également de prétexte aux rassemblements. La campagne des banquets, à la fin du régime, se déroule dans toutes les grandes villes de France. Louis-Philippe durcit son discours et interdit le banquet de clôture le 14 janvier 1848. Le banquet, repoussé au 22 février, va provoquer la révolution de 1848.
Après une agitation, le roi remplace le ministre François Guizot par Adolphe Thiers qui propose la répression. Reçu avec hostilité par la troupe stationnée au Carrousel, devant le palais des Tuileries, le roi se résout à abdiquer en faveur de son petit-fils, Philippe d'Orléans (1838-1894), en confiant la régence à sa bru, Hélène de Mecklembourg-Schwerin, mais en vain. La IIe République est proclamée le 24 février devant la colonne de la Bastille.
Louis-Philippe, qui se voulait être le roi citoyen à l'écoute du pays réel, appelé au trône et lié au pays par un contrat dont il tirait sa légitimité, n'a pas su — ou voulu — comprendre que le peuple français désirait élargir le corps électoral, pour les plus frileux politiquement en baissant le cens, pour les plus progressistes en établissant le suffrage universel.